Vivre dans le quartier des résidences, ce n’est pas qu’une chance, c’est un privilège. La Cité est généreuse et ouvre ses portes à qui s’implique corps et âme pour sa prospérité. Les voisinages sont agréables et cordiaux, délicats et raffinés, cultivés et ingénieux. Si vous avez pu vous procurer la clé d’une demeure en ces lieux, n’oubliez jamais celui qui vous l’a donnée. Nombre de ces résidences consistent en de splendides hôtels particuliers, voire en manoirs finement décorés et armés jusqu’aux dents au nom d’une sécurité nécessaire lorsqu’on fait son profit sur le dos des indigents.

L’entreprise-mère, qui a planté les racines de la vie, demeure en ces lieux imprenables. Usines de production, ateliers d’ingénieurs, centres de financement, le fondement de la vie de la Colonie domine l’enfant qu’elle a élevé. L’entrée visiteurs est grande ouverte pour qui a payé la visite guidée, ou bien qui est assez important pour s’y voir invité. Employés, veillez bien à entrer par la porte secondaire du personnel de votre service. Pour les autres, il est fortement déconseillé d’escalader les murs sous peine d’être irrémédiablement électrocuté. En tout bien tout honneur, AVA Corp finance l’Etat-Major “sans interférer dans ses affaires”, extrait du décret n°158.

Les hauts gradés des forces armées ne tarissent pas d’efforts pour faire valoir leur autorité à travers la cité. Les vestes jalonnées de galons, les officiers de l’armée et des forces spéciales, plus secrètes, s’y réunissent pour des réunions dont le commun des mortels sait fort peu de chose. Bien qu’ils en soient les commandants directs, les policiers de la Sève, la milice civile et les forces spéciales n’ont aucunement le droit de s’y rendre sauf autorisation exceptionnelle - le cas échéant, attendez-vous à recevoir une mission confidentielle qui ne s’encombre pas de convaincre l’opinion publique. Ce sont entre ces murs sévères et imposants que se décident les prochains assauts, que ce soit à l’extérieur des remparts ou au sein des quartiers pauvres.

Institution officiellement dépendante, mais en vérité dirigée par AVA Corp, le Commissariat de la Sève rationne et supervise tout projet sévique. Son aval est requis pour chaque vente de Sève purifiée, sur laquelle elle touche une commission faramineuse en partie reversée à AVA Corp comme dédommagement à son monopole. A ce titre, ses redoutés policiers de la Sève traquent les éléments disruptifs qui s’approprient la Sève ou la libèrent au nom de leur supposée divinité. Responsables de la propagande municipale, dont le slogan “Notre Sève, notre survie”, ainsi que de nombreuses disparitions mystérieuses, elle est considérée comme un pilier du bon fonctionnement du Havre.

Ennemis de la Colonie, c’est ici, par le marteau et la sentence que votre sort sera scellé. Les procédures de recrutement des hommes et femmes de loi demeurent obscures, mais selon les rumeurs, cela n’entacherait nullement la justesse des décisions rendues. En l’absence d’un parlement, on y rédige les décrets et textes de loi, y compris le code du travail. Vous répondrez de vos crimes, aux yeux et au su de tous. Les multiples colonnes de marbre et les dalles gigantesques ont été prévues pour intimider le quidam.

Car il faut être cultivé pour avoir le goût du jeu, ou du moins, sous une forme si raffinée. Les salons luxueux du casino servent de table de jeux autant que d’espace confiné propre aux discussions politiques, aux débats et aux intrigues. Les paris risqués appauvrissent les indigents et enrichissent les nantis. La corruption, sous couvert de divertissement, s’y répand et envahit le reste de la ville depuis ce bâtiment inoffensif. Un seul proverbe s’applique, nous prenons votre argent en trop tout en vous permettant d’en gagner davantage. Les draperies écarlates constituent un morbide rappel du sang sacrifié par la plèbe pour la réussite des quelques-uns au sommet.

Les prouesses se dénombrent par centaines au sein de ce crin de verdure aux mille et une couleurs, parcouru de sentiers et de kiosques agréables. Les lieux sont bien entendu entretenus par des jardiniers fins connaisseurs de la flore. Au demeurant, on les soupçonne à l’unanimité d’être animistes puisque très peu d’effluves toxiques s’en échappent malgré l’omniprésence de la nature. Par-delà sa beauté chamarrée, ses coins paisibles et son air rafraîchissant au centre d’une ville essentiellement industrielle, les Jardins Illustres représentent avant tout un symbole, celui de la domination de l’humanité sur une nature récalcitrante à sa présence. A cet endroit, elle est emprisonnée, contenue, apprivoisée.